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La Loi n°2025-17 du 27 septembre 2025 : Un défi d’équilibre entre objectif budgétaire, justice fiscale et transformation digitale

I. CONTEXTE

Parue au Journal Officiel du jeudi 2 octobre 2025 (JO n°7853), la loi n°2025-17 modifiant certaines dispositions de la loi n°2012-31 du 31 décembre 2012 portant Code général des impôts, s’inscrit dans la dynamique de mise en œuvre de l’Agenda Sénégal 2050 et du Plan de Redressement Économique et Social (PRES), visant à renforcer la mobilisation des ressources budgétaires, à élargir l’assiette fiscale et à adapter le système fiscal aux enjeux de justice sociale et de souveraineté économique.

 

II. PRINCIPALES MESURES ADOPTÉES 

2.1. Fiscalité du Transfert d’argent et paiements électroniques

    2.1.1. Création de la Taxe sur les transferts d’argent (TTA)

La grande nouveauté de la loi réside dans l’instauration d’une Taxe sur les Opérations de Transfert d’Argent (TTA), codifiée aux articles 395 à 399 ter du CGI.

Cette taxe, inédite dans le système fiscal sénégalais, s’appliquera à toutes les opérations de transfert d’argent réalisées par voie électronique, mobile, postale ou bancaire.

    ➢ Champ d’application

La TTA s’applique à toutes les opérations de transfert d’argent réalisées par tout moyen ou support technique laissant trace, notamment :

    • Les transferts électroniques,
    • Les transferts via téléphonie mobile,
    •
Les transferts télégraphiques, postaux, par voie de télex ou télécopie,
    •
Les paiements par cartes bancaires.

    ➢ Assujettis

Sont soumis à la taxe :

    1. les personnes physiques ou morales effectuant, à titre principal ou accessoire, des opérations de transfert d’argent ;
    2. les banques, établissements financiers et entreprises du système financier décentralisé.

    ➢ Exonérations

Les dépôts en numéraire, les retraits d’espèce dont le montant est inférieur ou égal à 20.000 F CFA/jour, les virements bancaires, les transferts de salaires et bourses d’études (quelle que soit la qualité de l’émetteur ou du bénéficiaire) ainsi que les transferts effectués par ou pour le compte de l’État et des collectivités, sont des opérations expressément exonérées de la Taxe sur les Opération de Transfert d’Argent.

Il en est de même pour les transferts internes au réseau de distribution des prestataires de services de paiement et leurs partenaires.

    ➢ Le taux et l’assiette imposable de la TTA

Le taux de la TTA est fixé à 0,5%, plafonné à 2.000 FCFA par transaction et s’applique sur le montant des sommes transférées. Toutefois, l’assiette de la taxe n’inclut pas :

    • la TTA elle-même,
    • la taxe sur les activités financières (TAF),
    • et les commissions perçues lors de l’envoi ou du retrait.

    ➢ Fait générateur et exigibilité

La TTA est exigible dans le mois qui suit le fait générateur, selon les mêmes règles que la TVA, à savoir le 15 du mois suivant.

Quant au fait générateur, il est constitué par le débit ou le crédit du compte de l’expéditeur, du donneur d’ordre ou du bénéficiaire.

    ➢ Recouvrement

La taxe est collectée par l’opérateur de transfert sous sa responsabilité et sans aucune déduction et reversée au Trésor public dans les mêmes conditions que la TVA. Tout manquement est sanctionné selon le régime applicable en matière de TVA.

Tableau récapitulatif – Taxe sur les Transferts d’Argent (TTA)

Champ d’application        

Tous transferts d’argent laissant trace (électronique, mobile, postal, carte, etc.)

Assujettis

Opérateurs de transfert, banques, SFD

Exonérations

Dépôts numéraires, retraits ≤ 20.000 F CFA, virements bancaires, transferts internes, salaires, bourses, État/collectivités

Taux

0,5% (plafond 2.000 F CFA)

Fait générateur

Débit/crédit du compte

Exigibilité

15 du mois suivant

Recouvrement

Collecte par les opérateurs – reversement au Trésor public

 

    2.1.2. Prélèvement spécifique sur les paiements reçus par code marchand

La loi introduit également un prélèvement distinct de 0,5% sur les paiements reçus par code marchand (article 220 ter CGI).

Sont concernés les commerçants ou entreprises disposant d’un code marchand auprès des opérateurs de transfert.

Le prélèvement est effectué à la source par l’opérateur, sous sa responsabilité, et reversé au Trésor dans les 15 premiers jours du mois suivant, selon les règles applicables aux retenues à la source sur salaires.

 

2.2. Droits de timbre sur paiements en espèces

La Loi n°2025-17 modifie l’assiette des droits de timbre de quittances applicable aux paiements en espèces.

Le droit de timbre de 1% auparavant applicable aux montants supérieurs à 100.000 FCFA, s’applique désormais à tous les paiements en espèces, sans seuil ni plafond. 

Seules les acquisitions de produits expressément visés par arrêté du ministre des Finances échapperont à cette mesure. Pour l’heure, cet arrêté n’est pas encore pris.

Toutefois, les reçus des dépôts d’espèces effectués chez une banque, auprès d’un établissement financier, un courtier en valeurs mobilières ou la Caisse des Dépôts et Consignations, les imprimés utilisés par les SFD continuent d’être soumis au droit de timbre forfaitaire de 200 FCFA.

 

2.3. Augmentation du coût d’importation des véhicules

Une nouvelle taxe de 10% s’applique désormais à tous les véhicules importés au Sénégal.

Elle remplace l’ancienne taxe prévue à l’article 439 du CGI, qui visait les véhicules de tourisme mais n’avait jamais été mise en œuvre. Cette mesure recentre ainsi le dispositif sur les importations de véhicules, dans une logique à la fois budgétaire et de régulation du parc automobile.

 

2.4. Secteurs de l’alcool, du tabac et des jeux ciblés par la fiscalité comportementale

La loi consacre une fiscalité dite « comportementale », à visée sociale et sanitaire, ciblant la consommation d’alcool, de tabac et les jeux d’argent.

    2.4.1. Taxe sur les alcools et le tabac

    • Relèvement de la taxe sur les alcools importés de 50% à 65% ;
    • Relèvement de la taxe sur les alcools produits localement de 25% à 40% ;
    • Relèvement de la taxe sur le tabac qui passe de 70% à 100%.

    2.4.2. Jeux de hasard et divertissements

    ➢ La taxe sur les revenus des opérateurs de jeux de hasard

Sont assujettis à cette taxe les opérateurs de jeux de hasard et de divertissements, à savoir, toute personne physique ou morale qui organise au Sénégal, à titre principal ou accessoire, des jeux d’argent ou de hasard, des paris ou des pronostics sportifs ou hippiques, fondés sur l’espérance d’un gain en nature ou en argent, susceptible d’être acquis par voie du sort ou d’une autre façon ou sont destinés à procurer un simple divertissement, quel que soit le procédé ou le support utilisé.

Le taux de la taxe est de 20% et s’applique sur le montant versé à l’opérateur de jeux de hasard et de divertissements.

La taxe est retenue par la LONASE, sous sa propre responsabilité et est reversée dans les 15 premiers jours du mois suivant celui au cours duquel la retenue a été opérée.

    ➢ Prélèvement sur les gains des jeux de hasard

La nouvelle loi a instauré une retenue de 20% sur les gains versés aux joueurs. En effet, il s’agit d’un prélèvement effectué par la LONASE, sous sa propre responsabilité. Le montant est versé dans les 15 premiers jours du mois suivant celui où la retenue a été opérée, au niveau du bureau de recouvrement compétent.

 

III. ENTREE EN VIGUEUR ET TEXTES D’APPICATION

La loi s’applique à compter de sa publication au journal officiel (2 octobre 2025). Les entreprises et opérateurs assujettis doivent adapter dès à présent leurs systèmes de facturation, de collecte et de reversement.

Cette nouvelle loi nécessitera tout de même des textes d’applications pour apporter des précisions sur certaines modalités. Par exemple, la portée de l’exonération des virements bancaires de TTA (inclut-elle les transferts « bank to wallet » ou « wallet to bank » ?).

 

IV. IMPACT ET ENJEUX DE LA NOUVELLE LOI

L’application de cette nouvelle loi fera certainement constater une hausse du coût des transactions. En effet, la combinaison de la TTA, du prélèvement sur les paiement reçus par codes marchands et du droit de timbre sur les paiements en espèces pourrait entraîner un renchérissement global du coût des transactions financières, affectant les ménages, mais aussi les petites et moyennes entreprises.

Aussi, il existe un risque réel de frein à la digitalisation avec une fiscalité qui dissuade l’utilisation du mobile money et encourage un retour vers le cash, en contradiction avec la politique d’inclusion financière. Même si l’élargissement de l’assiette du droit de timbre de 1% est sensé théoriquement limiter voire empêcher le retour vers le cash, cela ne saurait, à notre avis, suffire compte tenu de la prépondérance du secteur informel dans notre économie.

Les opérateurs de transferts d’argent, les utilisateurs et les commerçants devront adapter leurs pratiques et stratégies de gestion financière afin d’absorber cette nouvelle pression fiscale, tout en veillant à rester compétitifs dans un environnement en transformation. 

L’impact pratique de cette nouvelle loi sur les secteurs du transfert d’argent et des fintechs reste donc à évaluer.

Quant aux secteurs ciblés par la fiscalité comportementale (alcool, tabac, jeux), l’augmentation, significative du coût pour les opérateurs et les consommateurs, devra conduire à la réévaluation des modèles économiques et à la préparation des stratégies d’adaptation (répercussion des coûts, communication, conformité réglementaire).